Trois événements vont marquer mon premier mois d’août. Le premier aurait dû n’être qu’une simple formalité ; il n’en a rien été. Quinze jours après mon rappel de vaccination antirabique, je suis à nouveau chez le vétérinaire pour effectuer une prise de sang. Avant mon départ en France, les autorités sanitaires locales veulent une preuve biologique de mon immunité vaccinale. Pour une raison qui nous échappe, à ma meute et à moi-même, le vétérinaire demande à mes parents de quitter la salle d’examen, le temps nécessaire à l’intervention, somme toute bégnine. Une piqûre, c’est une piqûre et j’en ai déjà eu quatre durant ma courte vie. Pourquoi tout ce cinéma ? Apparemment, certains parents sont trop sensibles à la vue du sang, ce qui perturbe le ressenti de l’animal… et le travail du docteur. Bon, bref, mes parents vont m’attendre dans la salle du même nom. De là, rapidement ils m’entendent couiner… un peu, beaucoup, passionnément, à la folie. Les décibels sont lâchés ; moi d’ordinaire si taiseuse, je fais montre de toute l’étendue de ma tessiture. Fini de jouer, je me mets bientôt à grogner. En plein concert, une assistante sort quérir la présence de mes parents. Quand ils arrivent, ils sont surpris de constater que rien ne m’a été fait… encore. Ils en font une drôle de tête : à m’entendre ainsi, ils pensaient sûrement qu’on m’avait saignée à blanc ! Absolument pas. Tout ce vacarme pour passer une collerette –qui ne me va pas du tout au teint, soit dit en passant ! Le docteur leur explique qu’il n’arrive à rien, même avec le renfort d’une seconde assistante ; il veut donc essayer avec nous, histoire de voir si cela peut me calmer. Bien sûr que ça me calme de voir ma meute autour de moi. Envolée la collerette ! Ma mère me parle en me tenant la tête ; et mon père assure l’immobilité de mon corps, le temps d’effectuer les prélèvements. Comme une lettre à la poste ! Je crois que docteur Dracula a compris qu’on ne traite pas un Kishu comme un autre chien de sa patientèle. Plus jamais il ne demandera à mes parents de rester à l’écart.
Le deuxième évènement a lieu le 15 août. En temps normal, c’est le jour du grand feu d’artifice. Pendant deux heures, à partir de 19 heures, près de 40.000 bombes sont lancées au-dessus du lac pour créer une féérie de figures élaborées. Explosion de couleurs et bangs assourdissants garantis ! Pour les hôtels ayant vue sur le lac, c’est le jackpot assuré, avec des chambres réservées d’une année sur l’autre malgré des tarifs hallucinants. Il faut dire que les festivités ramènent des milliers de touristes et une centaine de marchands ambulants qui animent des stands où le chaland trouvera sans mal de quoi se restaurer : brochettes de viande, grande variété de nouilles, poissons cuits sur des piques en bois, beignets de pieuvre et j’en passe ! Cette année, les restrictions dues au Covid ont abouti à l’annulation de l’évènement, tout comme en 2020. La ville aurait donc dû être calme ; mais c’était sans compter sur les effets d’un typhon de passage qui a copieusement arrosé l’intérieur des terres depuis plusieurs jours. En ce dimanche pluvieux donc, quand je sors au petit matin afin de satisfaire à ma routine hygiénique, la ville vient de passer en alerte inondation. Surprise ! Le parking de la résidence est noyé et notre voiture ne doit d’être (encore ?) préservée d’un bain de moteur que par le fait qu’elle est stationnée au plus haut de la pente ; les autres voitures ont plus que les roues dans l’eau ! Les bouches d’égout se sont soulevées ; le réseau d’évacuation des eaux pluviales ne répond plus et la station d’épuration est saturée. Mon père a de l’eau à mi-mollet au plus bas du parking. Dans la rue, il y a des endroits où elle m’arrive à mi-corps. Seules les buttes au-dessus de la rivière canalisée sont praticables ; mais pour combien de temps ? Les autorités craignent un débordement qui nécessiterait alors l’évacuation de notre quartier. Déjà certaines zones résidentielles ont été vidées de leurs habitants, par risque de glissement de terrain ou parce que l’eau des égouts a reflué dans les habitations. Le paysage autour de chez nous s’est totalement transformé. Mon père se prend pour Mc Mahon : « que d’eau, que d’eau » en effet ! Et encore nous ne percevons que l’écume des choses ! « Notre » rivière approche dangereusement de sa côte d’alerte maximale, ainsi qu’on peut le constater sur l’échelle graduée qui va jusqu’à six mètres. En temps normal, le niveau se situe en dessous des deux mètres ! Aucune circulation, hormis quelques véhicules de pompier. Des rues ont été coupées. Nous cheminons ainsi sous une pluie fine pendant une bonne heure sans rencontrer âme qui vive. Il n’y a qu’à Hokkaido que j’aurai l’occasion de faire régulièrement des remakes du film « I am Legend » : seule avec mon père à cheminer dans une cité déserte, les zombies en moins, naturellement. La bonne nouvelle, c’est que les trombes d’eau ont cessé en amont du réseau hydrographique. La crue se stabilise ; nous passerons donc le reste de la journée dans notre appartement, à regarder la pluie perdre en intensité. En fin de journée, les motopompes seront activées et notre rue sera débloquée ; il faudra néanmoins deux jours avant que le réseau hydraulique soit totalement remis en fonction, sans restriction.
Le troisième événement du mois d’août, ce sont mes premières chaleurs. Je viens d’avoir huit mois et je ne comprends pas trop ce qui m’arrive. Je sème des gouttes de sang un peu partout, je me sens un peu bizarre et parfois je suis excitée comme une puce sur le dos d’un lévrier. C’est très désordonné, brouillon et perturbant. Fatigant aussi. Mes parents trouvent que cela arrive un peu tôt quand même ! Pour calmer mes hormones, ils m’envoient me rafraîchir au lac presque tous les jours. Je crois que mon père peut désormais faire effectivement la route les yeux fermés.