Episode 8 : Juillet 2021

Destination Hokkaido ! 825 kilomètres nous séparent du port d’embarquement pour prendre le ferry. Avec les pauses pour me faire boire, me sustenter et dégourdir mes pattes, il faudra compter sur douze heures de route. Par anticipation à ce long cantonnement dans mes quartiers mobiles, j’ai déjà fait mes trois promenades réglementaires au moment de monter dans la voiture en fin d’après-midi. Deux heures de conduite sur les routes de montagne pour commencer avant de rejoindre l’autoroute. En cette saison, mon père a jugé préférable de franchir les cols à la lumière du jour finissant car cela limite le risque de collision avec la faune alpine, toujours prompte à traverser la route sans regarder, un peu comme moi d’ailleurs ! Notre itinéraire nous fera traverser six préfectures (Gunma, Tochigi, Fukushima, Miyagi, Iwate et Akita) avant de parvenir à Aomori –préfecture et ville portuaire au nord de l’île de Honshu.

Mes parents connaissent bien la première moitié de cette route, jusqu’à Sendaï (Miyagi) précisément, pour l’avoir suivie très souvent depuis 2014. J’ai cru comprendre qu’ils avaient longtemps travaillé sur le dossier environnemental des conséquences radiologiques de la catastrophe dite de Fukushima. D’ailleurs, en 2021, la voie express dispose toujours de capteurs indiquant aux automobilistes le niveau instantané de radioactivité dans la zone officiellement contaminée. Je ne sais pas si cette transparence relative doit me rassurer ou m’inquiéter. Se tourmenter d’un savoir acquis, ou se satisfaire d’une ignorance volontaire, voilà un choix cornélien à faire. En tout état de cause, nous passerons la région critique sans nous arrêter, au cas où j’aurai eu dans l’idée de lécher des surfaces pas très nettes ! Mon père sourit en disant à ma mère qu’il pourrait faire la route les yeux fermés. Alors pourquoi a-t-il fait le plein de café –et de donuts qui sentent vraiment très bon- s’il projette de dormir ? Parfois il m’arrive de penser que les bipèdes sont emplis de paradoxes.

Bon à savoir : En Occident, les gens mal informés pensent que la catastrophe survenue le 11 mars 2011 au Japon est un accident de l’industrie nucléaire, comptable des milliers de victimes recensées ce jour-là ; c’est inexact. En réalité, l’accident nucléaire n’a provoqué aucune victime directe. Une confusion s’est installée dans les esprits entre cause et conséquence, notamment du fait de la couverture médiatique internationale de l’évènement. C’est le tsunami, vague géante consécutive d’un séisme sous-marin au large des côtes de Miyagi/Fukushima, qui est seul responsable des dix mille morts et disparus. Son passage a tout balayé sur des kilomètres à l’intérieur des terres, piégeant les habitants, noyant les usines, dévastant les champs, charriant des milliers de véhicules et des centaines d’embarcation. Cette catastrophe aurait dû rester dans les mémoires comme le « tsunami de Miyagi », du nom de la préfecture qui a été le plus durement impactée par la vague. Si « la catastrophe de Fukushima » s’est imposée à la place, c’est parce que ce phénomène marin dévastateur en a enclenché un autre, susceptible de disséminer une pollution radioactive à travers la planète, à savoir la fusion de réacteurs nucléaires par suite d’un défaut de refroidissement de la centrale Fukushima Daiichi. On peut regretter que le sort des victimes japonaises du tsunami meurtrier aient finalement moins émues l’Occident que le risque marginal d'être lui-même impacté par les éventuelles retombées radioactives. On a été très loin de l'émotion exprimée pour les morts du tsunami thaïlandais, en décembre 2004. C’était pourtant deux tragédies comparables. Mais c’est vrai que les touristes occidentaux vont plus souvent en Thaïlande qu’au Japon. 
Le nombre des victimes induites par les rejets radioactifs ne sera jamais connu. D’abord parce qu’aucun suivi épidémiologique sérieux n’a été mis en place ; mais surtout parce que la communauté scientifique peine à s’accorder sur l’origine exacte des cancers et autres modifications génétiques qui ont été et seront diagnostiqués. Tant de facteurs entrent en ligne de compte ; tant de questions restent sans réponse : pourquoi cette personne-ci seulement a-t-elle développé un cancer typique, et aucun autre membre de sa famille ? En l'occurrence, le mensonge au nom de la « raison d’Etat » joue moins que l’absence d’implication des administrations à chercher à savoir vraiment. C’est cette même constante autiste qui a fonctionné lors des essais atomiques atmosphériques effectués par toutes les puissances nucléaires à travers le monde.

En roulant de nuit, je passe la majorité de mon temps à dormir, bercée par les mouvements de notre voiture glissant sur l’asphalte à une vitesse moyenne de 100 km/h. Au Japon, la vitesse est réglementée comme suit : sur autoroute, de manière générale, la limite est fixée à 100 km/h, rarement plus (120 km/h) et souvent moins (80 km/h), surtout dans les zones sinueuses de montagne. Il faut dire aussi que les voies express offrent rarement des portions parfaitement rectilignes sur plusieurs kilomètres et que les courbes ont des rayons plutôt serrés. La route « normale », locale ou fédérale, est souvent limitée à 50 km/h, puisque l’on sort généralement d’une localité pour entrer immédiatement dans une autre. C’est la raison pour laquelle, si vous prévoyez un déplacement en dehors des voies express, il vous faudra tabler sur une vitesse moyenne de 40 km/h, soit deux heures de route pour faire 80 km.

Mes parents me tirent régulièrement de mon sommeil pour me faire découvrir les espaces dédiés aux chiens, sur certaines aires de détente. Trois dog run seront ainsi à mon entière disposition –vu l’heure tardive- au cours du voyage. Nous parvenons à destination au petit matin. Mon père me sort pour ma promenade matinale classique, puis je sortirai à nouveau longuement avant l’embarquement sur le ferry. Car je vais passer près de quatre heures dans ma caisse de transport sur quatre roues, le temps nécessaire à la procédure montée/descente et à la traversée proprement dite. Il fait un peu chaud dans l’habitacle, mais je dispose d’un ventilateur qui génère un courant d’air bienvenu. Puisqu’il n’y a rien à faire, ni à écouter, je m’endors, bercé par le léger roulis du navire.

Ferry sur Ocean Road

Nous touchons terre à 13h40. Hokkaido, me voilà ! Pendant quelques jours, nous allons loger dans un petit chalet auquel est accolé un jardin clos qui fait office de dog run en saison, quand tous les chalets sont occupés. Nous serons les seuls clients : le dog run est donc pour moi seule ! Et comme la gestionnaire des lieux m’a tout de suite à la bonne, c’est le paradis ! Parler de chalet peut induire dans l’erreur si l’on imagine le classicisme d’une construction de style alpin ou nordique. C’est avant tout une construction en bois faite d’assemblages approximatifs et de troncs de récupération. L’intérieur offre tout le confort, dans un style décoratif très hétéroclite, et même du superflu avec un piano et une sono complète de disc-jockey. Mais cela me va d’autant plus que, pour la seconde fois, la meute sera réunie durant la nuit, puisque je vais pouvoir dormir dans le même espace que mes parents. Et même si la chose est interdite par le règlement intérieur de l’établissement, j’aurai quelquefois l’occasion de dormir sur le lit de mon père avant qu’il ne vienne y dormir à son tour. Pour moi, ce sont de belles vacances.  

Arrivée sur Hakodate – La tour Goryokaku en point de mire

Toutefois, le but de notre voyage n’est pas que récréatif ; mes parents envisagent la possibilité de quitter Honshu pour vivre l’expérience Hokkaido pendant un ou deux ans, si d’aventure leur séjour professionnel devait être prolongé en territoire nippon. S’ils obtiennent un nouveau contrat, il faudra bien loger quelque part, puisque notre appartement actuel ne sied plus aux effets de ma croissance. Durant cinq jours, nous alternerons donc des repérages de sites dans le secteur de Hakodate et un repos de fin de journée bien mérité pris dans le jardin. Qui dit jardin ne signifie pas absence de promenade matin et soir en dehors du périmètre pour satisfaire à mes besoins naturels. Pour moi, « mon » jardin ne saurait être un endroit d’aisance. Mon lieu de vie doit rester nickel, non mais !

Attendre le bon moment avant de monter sur le lit paternel
On ne gagne pas à tous les coups !
Visite touristique à Matsumae
Détour à Goryokaku, ex-forteresse de Hakodate

Quand nous revenons chez nous, la saison des pluies joue les prolongations. Il faut faire avec. La pluie ne me dérange pas ; les trombes d’eau, si. Chacun a ses limites. C’est le temps du vaccin antirabique. Les injections ne me troublent pas plus que ça ; en plus, ils sont sympathiques, au cabinet vétérinaire. Je crois qu’ils m’aiment bien. Le seul truc qui me gêne, c’est de devoir rester immobile sur la table d’examen pour la pesée. Là, j’avoue, j’ai du mal à rester tranquille.

Après l’échec de l’expérience océanique, mes parents ont tenté le passage en rivière. Le courant est trop fort pour que j’apprécie la trempette. Non décidément, pour moi c’est un étang ou un lac, sinon rien ! Au cours du mois de juillet, nous allons donc monter à 1.500 mètres d’altitude pour me faire promener autour d’un petit lac -2km de circonférence-, voire pour m’inciter à y nager. A une telle altitude, la fraîcheur est la bienvenue car en ville il fait entre 25 et 30°C à l’ombre. Le site me plaît, comme à mes parents qui envisagent d’y acquérir un pied-à-terre temporaire en alternative à la piste de réflexion Hokkaidienne. L’espace est très boisé, même si le coin abonde de chalets et autres lieux de villégiature. Il faut dire que la réglementation locale est stricte : interdiction de couper un arbre sans autorisation municipale. Le lac accueille une activité de location de pédalos et de canots, intégrée dans un magasin de souvenirs qui fait aussi restaurant. C’est un endroit très plaisant. La surface de l’eau est calme et je peux en voir le fond en transparence quand je longe la berge : j’y aventure deux puis quatre pattes pour goûter la fraîcheur du liquide. Il me faudra encore quelques incursions de plus en plus assurées avant que je me mette vraiment à nager sans trop m’éloigner du bord, cependant. Je ne suis pas un Terre-Neuve !

Pas mal comme style de nage, non ?

Au lac Megami (ko), le collier et la laisse ont laissé place à un harnais et à une longe rétractable d’une capacité de 8 mètres. Autant dire que c’est la liberté ! Je nage en longeant le bord, histoire de reprendre patte très vite au besoin. Sauf quand mon attention se fixe sur l’un des canards du coin, attiré par les croutons de pain que les adeptes du pédalo jettent à son intention lors de leur navigation erratique. A ce moment précis, plus rien n’existe en dehors de ma cible aux pattes palmées. Mais la corde qui me relie à la berge a tôt fait de me ramener à une ambition plus mesurée qu’une nage de cinquante bons mètres, forcément vouée à l’échec.

En cette fin du mois de juillet, je connais une perte de tonus. Je suis « hors service », comme dit mon père, et ce pendant quatre jours. Activité réduite, repas allégés, voire diète volontaire. Ce n’est pas une question de complexe du maillot de bain, juste un coup de mou. La visite de fin de mois chez le vétérinaire voit néanmoins mon poids passer à 14.5kg.

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