Episode 3 : première affirmation de caractère

Premier matin à Suwa. Après une nuit calme passée dans ma cage dorée – enfin dorée, c’est façon de dire puisque les barreaux sont en métal, couleur marron. J’ai rêvé. De quoi, je ne m’en souviens pas ; mais mes parents sont là pour en témoigner : ils ont eu tout le loisir de m’observer en train de bouger les pattes tout en jappant à l’occasion, le genre de détail qui ne trompe personne. Je ne sais trop à quoi pensaient les Anciens quand ils dédaignaient aux animaux cette capacité d’avoir une telle vie intérieure. Il faut n’avoir jamais observé un chien qui dort pour croire que le rêve serait l’apanage du seul Homo sapiens ! Et qui sait si nos nuits ne sont pas plus belles que les vôtres ? A mon réveil, je constate que la porte de la cage est ouverte. Déduction logique : j’ai donc un espace nocturne et une zone d’activité annexe en mode diurne. Autant mon T1 offre un style sobre et dépouillé, hormis de vieux T-Shirts faisant office de coussin, autant la dépendance extérieure me paraît fort encombrée. Je vous décris l’environnement dont je prends possession à petits pas hésitants. A droite en sortant… de ma cage (et non pas de l’ascenseur, puisque c’était à gauche en l’occurrence !), il y a un bureau peu profond qui prend tout le mur… jusqu’au portillon qui me prive de l’accès au reste de l’appartement. Dans le prolongement, une demi-cloison ouvre sur une sorte de cuisine à l’américaine. Sorte de, car on est plus proche de la mini-kitchenette chère à Patrick Timsit. Dans les appartements japonais, la cuisine se présente généralement sous la forme d’un couloir étroit où chaque millimètre est compté : une niche pour le réfrigérateur, un décroché à côté de l’évier pour caser la plaque 2 feux gaz standard (avec compartiment four à poisson) et voilà ! Pour le reste, il faut compter sur des étagères métalliques à rajouter en fonction des besoins, ou des possibilités. Impensable d’y manger donc ; compliqué de s’y tenir à deux personnes en même temps ; et à peine suffisant pour se lancer dans des préparations culinaires élaborées « à la française ».

A l’opposé de mon T1, le mur est caché par de grandes portes : il paraît que cela se nomme placard, zone protégée qui préserve les objets fragiles des petits démons montés sur deux ou quatre pattes. Finissant mon petit tour de piste, je longe une baie vitrée donnant sur le balcon. Le mobilier se compose d’une table basse, sur laquelle mes parents prennent leur repas, et d’un sofa deux places qui accueille leur séant pour se faire. J’ai bien pris note que les murs ne me sont pas directement accessible : des packs d’eau font office d’une véritable muraille de Chine. Pour le moment, il n’y a qu’un seul niveau, mais je me doute bien que cela va s’élever à mesure que je vais grandir. Ces cartons sont-ils pleins ? Telle est la question que je dois creuser en priorité.

Cette exploration m’a épuisée. Il est grand temps de faire un nouveau somme, mais pas le ventre creux, naturellement. Au quotidien, mon planning est chargé : je mange, je dors, j’explore et j’observe mes parents : il y a beaucoup à apprendre du comportement des bipèdes. Pour le moment je coopère encore, s’agissant de mes besoins naturels. Il faut dire que le lieu d’aisance est le plus court chemin à suivre depuis ma couche, autant en profiter !

Je fais connaissance avec la fraîcheur : la température extérieure oscille entre 0 et 10°C. En l’absence de chauffage central ou électrique, la pièce est chauffée avec un système de poêle mobile qui nécessite d’être réactivé toutes les trois heures, pour des raisons de sécurité. Autant dire que la nuit, passée la dernière période de chauffe, l’impression de douce chaleur s’estompe rapidement. Dans 48 heures, je connaîtrai même mes premiers flocons… à travers la vitre !

Les jours passent et ma boule de poil s’étoffe en prenant de l’assurance. Mon premier acte de rébellion consiste à dégager le matelas hygiénique de son socle en plastique. Ce truc m’insupporte au plus haut point. Peut-être l’odeur qui s’en dégage et que je n’apprécie pas ?! A l’exception de ceux que l’on surnomme des « nez », en parfumerie notamment, les bipèdes que vous êtes sont des handicapés sensoriels qui s’ignorent. A part votre vue, qui, d’origine, est meilleure et plus complexe que la nôtre, vous souffrez de vraies limites en matière d’odorat et d’ouïe ! Il faut être juste et rendre à César ce qui appartient à Jules : c’est à mon père que je dois mon initiative de grand ménage. Un matin au cours duquel je déambulais dans le séjour, entre deux siestes, j’ai eu une envie pressante à soulager ! Un chiot boit proportionnellement bien plus qu’un chien adulte. Il ne faut donc pas vous étonner qu’il doive aller assez régulièrement au petit coin pour vider son petit réservoir. Or, à l’instant où j’adoptai la position idoine pour me soulager, mes pattes postérieures en mode « grenouille » sur le point de sauter, une main virile m’a prestement récupérée pour me faire connaître… les joies du balcon. Un balcon dont je découvrais, émerveillée, qu’il était recouvert d’un gazon fleurant bon les fibres de la chimie plastique.  

Dans l’attente d’une main secourable pour rentrer

Pourquoi mon père m’avait-il téléportée sur le balcon au lieu de me faire atterrir sur le matelas honni ? Sinon parce que le sanitaire de la cage n’était, à l’évidence, qu’un pis-aller en attendant que je disperse mes bienfaits en extérieur lors des promenades. Le Kishu comprend vite : la visite au balcon serait ma nouvelle norme. Cette résolution prise, c’est avec une belle opiniâtreté que je me mettais en devoir de dégager systématiquement le tissu honni de ma cage. En libérant l’espace sanitaire devenu inutile, j’avais dans l’idée de m’octroyer un vrai T2 pour le prix d’un studio !

Trois écueils à ce plan parfait : quid des soulagements urinaires de nuit, quand la cage est fermée ? Quid de l’accès au balcon quand la porte-fenêtre est fermée, ce qui est chose fréquente en plein hiver ? Et surtout quid du franchissement de la haute marche pour accéder au dit balcon pour ma taille limitée à trois pommes et demie ?

La nécessité du compromis s’imposa : j’acceptais encore pour un temps (limité et de nuit exclusivement) la contingence du studio ; mais en même temps, j’avais l’assurance de bénéficier d’une aide active pour gagner le balcon en journée. Pour cela, je n’avais qu’à me poster devant la porte-fenêtre, en couinant un peu au besoin, si personne n’avait daigné garder un œil sur moi.

Pendant un moment, ma mère essaya bien de refourguer ses matelas hygiénique sous le gazon, ne serait-ce que pour finir le paquet entamé. Mais cette présence sournoise était vite débusquée ; et le matelas était alors mis en pièce, pour l’exemple ! Aussi ce jeu de cache-cache prit fin assez rapidement.

Rayon de soleil sur pelouse synthétique… What else, George ?
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