Episode 17 : Premier bilan (1/2)

La neige prend ses quartiers d’hiver le 1er décembre, avec un mercure qui, désormais, ne franchira  qu’occasionnellement le seuil positif du thermomètre jusqu’à l’arrivée du printemps. Le paysage commence sa mue ; mes promenades adaptent leurs parcours. En soi, les chutes de neige, plus ou moins abondantes, se gèrent assez bien ; c’est l’accumulation des stocks qui refusent de fondre qui fait souci ; surtout tas et autres buttes de neige ont pour effet de limiter mon horizon, sauf à les escalader au risque d’y enfoncer la totalité de mes pattes ! Dix jours avant Noël, il tombe 60 centimètres de neige en 24h. L’hiver s’est définitivement installé : tout est blanc, entièrement blanc, et il en sera ainsi pour les trois mois à suivre. Je vais bientôt souffler ma deuxième bougie, moment opportun pour procéder à un premier retour d’expérience quant à ma condition de Kishu, manière de confronter les idées communément admises avec ma propre réalité.

Premières neiges
Même pas froid

Mon poids stabilisé tourne autour de 18.5 kg. Selon les sources documentées, j’accuse un léger déficit par rapport à la fourchette généralement admise pour une femelle Kishu (19/25 kg). Evoquer une fourchette pour parler de poids me paraît tout indiqué, même si, ici, la tendance reste à l’usage des baguettes. Ma taille est dans la norme avec une longueur de quarante-huit centimètres.

Février 2021
Février 2021
Mars 2021
Mars 2021

Pour avoir expérimenté toutes les formules de logement, je suis en mesure d’avancer l’idée selon laquelle la présence d’un jardin bien clôturé est, certes, souhaitable, mais, pour autant, rien ne s’oppose à une vie en appartement à partir du moment où je peux me dépenser au cours de la journée. Niveau exercice, on est très loin des besoins d’un entrainement quotidien à la mode Husky. Personnellement, je ne suis pas une adepte des jeux classiques qui semblent enchanter les bipèdes, comme le lancer de bâton ou l’envoi de balles. Je préfère grandement choisir les cibles responsables de mes accélérations (oiseaux, chats, véhicules…), ce qui suppose une totale liberté d’action dans un enclos ou une longe de plusieurs décamètres reliée à mon harnais / collier. A défaut, je peux me contenter de vraies promenades, de celles que je peux rythmer selon mon humeur ou mes envies, ponctuées de brèves accélérations, d’arrêts prolongés et de marches alternant le pas lent et le trot  rapide. Pour vous donner un autre d’idée, au cours de mes premiers mois, du jour où j’ai eu l’autorisation de sortie jusqu’à mon départ pour le Bretagne, j’ai parcouru entre quatre et huit kilomètres par jour, à raison de deux promenades quotidiennes ; et  entre huit et douze kilomètres quotidiens jusqu’à mon arrivée à Hokkaido. Il s’agit là d’une base minimale qui ne prend pas en compte les nombreuses sorties additionnelles en cours de journée en montagne et autour du lac Megami notamment, ni mes courses effrénées dans les « dog run ». Un jour, mon père a plaisanté en me disant que nous avions déjà parcouru à pied la moitié de la distance séparant le Japon et la France, soit 5.000 kilomètres. Aucun risque de faire de la mauvaise graisse à ce rythme-là !

Avril 2021
Avril 2021

Comme tous les chiens, j’ai eu ma période « chaussures et chaussons », qui s’apparentait à une tentative d’appropriation du bien d’autrui, bien plus qu’à une volonté de destruction programmée. Il faut bien faire ses dents sur quelque chose ! Quelques bottes en plastique en ont perdu de leur étanchéité. Le fait d’avoir emporté de haute lutte,  à force d’obstination, une paire de chaussons a suffi à modérer mes velléités d’attaque, même s’il peut encore m’arriver, de manière très ponctuelle, de retomber dans ce travers d’enfance pour témoigner d’une insatisfaction passagère, ou plutôt d’un défaut de communication, voire d’un désir de jouer.

Juin 2021
Juin 2021

Hormis le tragique épisode de l’isolant sous le tapis de sol de la voiture, mon côté destructif a préféré prendre pour cible les choses qui m’appartenaient de plein droit : mes jouets et mes coussins. En cela, je fais montre d’une belle constance : il est rare que mes biens personnels conservent leur état initial de forme et/ou d’intégrité plus d’une journée. Je n’ai pas encore pu déterminer si cette attitude relève de la saine curiosité « scientifique », d’un instinct primaire ravageur ou d’une réponse à des stimuli  olfactifs en rapport avec les matières employées pour leur fabrication. Notez que le fait de dépiauter les objets de leur garniture en mousse et/ou d’exploser le soufflet en plastique à l’origine du couinement des jouets m’amuse grandement ; l’objectif initial de ces achats est donc atteint. Pour les jouets, mes parents se sont fait une raison ; surtout que certains ont bizarrement survécu au carnage. S’agissant des coussins, la pilule passe moins bien. Car la longévité de mes paniers matelas est mise à rude épreuve. Durant mes deux premières années, mes parents ont fait trois tentatives pour m’imposer cette norme ; et le résultat est sans appel : et un, et deux et trois zéro. Yuki gagne par K.O.  Avec moi, le coussin n’a aucune chance : je le mordille, l’envoie valser dans les airs, le retourne, le tourmente sans l’utiliser de manière conventionnelle. Puis, quand ce jeu me lasse, après quelques semaines, je me mets en devoir de le réduire méthodiquement à pas grand-chose, semant mousse, ouate et bouts de tissu un peu partout dans la zone de combat. Pour dormir, je tolère la présence d’un tapis ou d’une serviette de bain ; sinon rien ne vaut l’herbe (voire le gazon synthétique) ou un lit de gravier. Cela doit venir de mon côté rustique de race primitive.

Septembre 2021
Août 2021

Pour compléter l’image « petites bêtises et turbulences », j’ai eu, aussi et surtout, une grosse période « dog fight », expression de mon cru sans relation avec les figures de combat aérien popularisées par le mythique film Top gun. Très vite, j’ai ressenti la nécessité de me mesurer à ma meute. Et j’ai tout naturellement trouvé du répondant en la personne de mon père. C’est ainsi que nous avons régulièrement pratiqué le jeu des assauts, moi en attaque, lui en défense. Moments brefs, souvent brouillons, mais très intenses. Il m’a fallu un petit moment pour assimiler le signal marquant la fin de l’engagement ; mais désormais acquis, il me fait cesser immédiatement les hostilités, même à haut degré d’excitation. Cela ne témoigne pas d’un « bon dressage », juste le signe que la règle du jeu a été comprise et acceptée. Le Kishu est un chien de chasse qui ne fait pas que lever le gros gibier ; il sait d’instinct comment et où attaquer. Nos combats homériques ont donc laissé des traces, notamment dans ma petite enfance. Pointues à souhait, mes dents de lait ont, en effet, régulièrement rayé les avant-bras ou les jambes paternelles dans le feu de l’action, non sous l’effet direct d’une morsure éventuelle mais en raison de mouvements opérés gueule ouverte. Je n’ai jamais serré les mâchoires avec la volonté de mordre vraiment. Mais je concède volontiers que ma manière de pincer n’est pas des plus agréables sans une protection adaptée. Je pense que cette activité au sein de ma meute suppléait l’absence de confrontation avec mes congénères à quatre pattes, nos échauffourées au dog run étant rapidement interrompues par l’intervention de bipèdes jouant les casques bleus. Avec le recul, mes parents estiment aussi possible que ces fréquentes manifestations  de dépenses énergétiques mal contrôlées témoignaient paradoxalement d’un déficit d’apports protéiniques. A leur corps défendant, ils croient m’avoir, un temps, sous-alimentée en respectant scrupuleusement la quantité de croquettes mentionnée sur l’emballage, sans prendre en considération la longueur et la fréquence de mes sorties quotidiennes. Leur hypothèse est qu’ils jouaient un peu trop de la balance de précision –leur formation scientifique, sans doute- quand ils auraient dû prendre une certaine latitude avec les recommandations du fabricant. C’est assurément la première règle à garder en mémoire avec un chien actif comme le Kishu : s’agissant de sa nourriture, les apports doivent moins correspondre à une moyenne normée qu’à un besoin à déterminer, eu égard à son activité réelle. J’ajoute qu’il y a peu de risque de susciter un comportement boulimique chez un Kishu. S’agissant des repas ou des compléments, je suis la première à me réguler. Que ce soit avec les croquettes, la viande fraîche, les biscuits corrupteurs ou les friandises en tous genres, je sais quand solliciter et quand arrêter : je n’abuse jamais !

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