Episode 14 : Hokkaido en point de mire

Mon retour sur les bords du lac de Suwa est provisoire. L’installation de ma grand-mère dans notre maison en Bretagne a conforté mes parents dans l’idée de tenter l’expérience d’une tranche de vie à Hokkaido. Qui n’a jamais rêvé de se confronter avec des conditions climatiques qui révèlent votre tempérament véritable en même temps qu’elles testent votre capacité de résistance à l’adversité ? Certes, Hokkaido ne se compare ni aux territoires désolés de l’Antarctique, ni aux vastes étendues sauvages de Sibérie ou du Canada polaire ; néanmoins, cela reste une destination exigeante. Avant mon arrivée dans leur vie, mes parents avaient déjà tâté de la neige à profusion lors d’escapades en Norvège et au-delà du cercle arctique, dans le Spitzberg. Ils ne partiraient donc pas en terres trop inconnues. Moi si, en revanche !

Spitzberg : rennes déambulant à Svalbard
Spitzberg lever et coucher de soleil au mois de janvier

Chaque mois nous allons donc nous offrir le voyage sur Hokkaido jusqu’à trouver notre futur domicile. Entre deux séjours sur l’île septentrionale, mon quotidien alternera des promenades à la fois autour du lac « majeur », à Suwa, et autour du lac « mineur », en montagne. Au cours de mes sorties, je me familiarise avec la population canine qui fréquente, pour le week-end ou au quotidien, le bord de ces lacs. Je préfère néanmoins faire bande à part, la balade en solo avec mon père, plutôt que la promenade en groupe, mal assorti d’ailleurs. Je note que les Shiba sont comme moi, alors que les chiens de race étrangère ont tendance au regroupement, sans logique de taille ou de race. J’interagis favorablement avec certains, démontrant un désir de jouer à « attrape-moi si tu peux » ; avec d’autres, je sais me montrer parfaitement indifférente. Peu me hérissent le poil, mais il m’arrive de gronder parfois ; cela ne s’explique pas. Ou plutôt si : on peut parler en termes d’atomes crochus ou d’odeurs plus ou moins compatibles. A l’évidence mon style ne fait pas l’unanimité et je déclenche quelquefois une franche hostilité : plus c’est petit, et plus c’est teigneux ! A ceux-là je ne réponds généralement pas. Comme dit le proverbe, la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe… Enfin, il ne faut pas pousser mémé dans les orties quand même !

Aurore boréale aux environs de Tromso (Norvège)
Minuit passé, dans la Norvège hivernale

Le premier séjour à Hokkaido ne donne rien. Il m’a juste permis de revoir Mme Hayashi, la responsable des chalets avec le dog run. Même si j’ai grandi au point d’avoir désormais atteint ma taille adulte, elle m’apprécie toujours autant. Souvent les gens adorent les chiots, mais s’en détournent une fois que la croissance a fait son œuvre. Un manque de constance qui aboutit à bien des abandons en bord de route ou dans des refuges ! Pour le moment, mes parents se focalisent sur le secteur sud de l’île, la grande région d’Hakodate, pour ses facilités à rejoindre Honshu quand le travail l’exige  Ocean road pour le passage en ferry, un aéroport en cas d’urgence, et la liaison Shinkansen jusqu’à Tokyo en moins de 5 heures.  

Shinkansen de la ligne Tokyo – Hakodate

A la fin du mois de mai, nouvelle période de chaleurs. Je sème des gouttes de sang comme un paysan ses graines, à la différence que je ne fais rien pousser, excepté les soupirs de mes parents, astreints à un nettoyage régulier. Je me rapproche beaucoup de mon père et c’est avec lui que je m’essaie à la simulation de la « chose », en lui sautant dessus pour capturer une jambe ou un bras. Le truc, c’est que, ce faisant, je me comporte plus comme un male en rut qu’une femelle en chaleur. C’est un peu brouillon et assez maladroit ; le désagrément dure une bonne quinzaine de jours avant que notre vie de meute reprenne un cours plus apaisé.  

Une occasion à saisir arrive sur le marché, dans l’un des lotissements que nous avons arpentés précédemment. Ma mère fait l’aller-retour en train, l’occasion d’emprunter le deuxième tunnel ferroviaire le plus long du monde. Entre la lecture d’un manga et une brève sieste, elle ne s’est rendu compte de rien. Ce qui est décevant pour mon ferrovipathe de père !

Nous sommes entrés en été. Les trempettes lacustres me font un bien fou alors que le mercure dépasse régulièrement les trente degrés. Il faudra un jour que je vous entretienne des questions qui agitent la société française sur les questions liées à l’écologie, au changement climatique etc… Sujets sensibles pour un discours politiquement incorrect ; j’attends donc un peu avant d’ouvrir sur ce type de polémiques !

La piste Hakodate a fait long feu. Les recherches s’orientent désormais sur le secteur de Sapporo.

Bon à savoir : je doute que vous en ayez jamais l’utilité, mais laissez-moi vous dire un mot en passant sur le métier d’agent immobilier au Japon. Car on est assez loin du standard Stéphane Plaza. Il y a peu d’agent indépendant, c’est-à-dire actant en tant qu’autoentrepreneur si vous préférez. La plupart travaillent en cabinet avec un véritable statut salarié. Il n’est donc pas directement et personnellement intéressé au plan financier à conclure une vente « à tous prix ». Il n’est pas plus le défendeur des (seuls) intérêts du vendeur, son mandant. Disons plutôt qu’il se met vraiment au service de l’acquéreur potentiel, quitte à superviser les demandes de devis, en cas de travaux à prévoir, et à faciliter les démarches ultérieures, liées à l’installation du nouveau propriétaire. Il est celui qui donne toutes les informations en sa possession, quitte à faire des recherches complémentaires quand le vendeur est défaillant à apporter les précisions demandées. Il y a donc un vrai lien de confiance qui peut s’établir entre lui et tout acquéreur potentiel. 
Le libellé des annonces immobilières sont factuelles ; certaines d’entre elles, toutefois, invitent le client potentiel à téléphoner pour obtenir des « détails supplémentaires ». Sous cette formulation sibylline, cela signifie qu’un drame a eu lieu dans la propriété : mort naturelle dans les murs ou suicide. Un « détail » qui a son importance dans une société shintoïste, où cohabitent le monde des vivants et celui des morts et des esprits. Une tragédie dissuade généralement de toute velléité d’achat. Pourquoi mettre une annonce dans ce cas, me direz-vous ? Parce qu’il faut bien satisfaire la demande d’un propriétaire !

Le 23 juillet 2022, nous touchons enfin au but, après nombre de visites décevantes. La toute dernière, impromptue, avant notre retour à Honshu semble correspondre aux critères parentaux. Seul bémol : le terrain a été travaillé pour offrir ce qu’il est convenu d’appeler un jardin japonais, avec quantités de rochers formant le lit d’une rivière dans un paysage stylisé planté de pins (« Matsu ») à l’arborescence travaillé, de plusieurs sapins et d’un érable. Compliqué à clôturer pour me laisser dehors en toute liberté. De plus, la maison a longtemps abrité un chat qui a laissé des souvenirs griffés sur les murs. Exceptionnellement, j’ai donc le droit de visiter moi-même l’intérieur afin de déterminer si les traces félines sont susceptibles de me poser un problème de cohabitation olfactive. Car un Kishu ne fait pas trop bon ménage avec les chats. A la laisse, j’explore donc tous les coins du rez-de-chaussée, l’endroit le plus critique, puis chacune des pièces de l’étage. Je furète, je renifle, je m’imprègne. Aucun grognement, aucun point de fixation : mon inspection vaut feu vert, de mon côté.

Le mois de juillet se termine avec un passage obligé chez le vétérinaire pour le rappel antirabique. Feu d’artifice du 15 août, toujours en mode « light » (en anglais dans le texte pour le jeu de mots). Les devis sont arrivés. Tout rentre dans le budget, y compris les demandes accessoires. Plus rien ne s’oppose à formaliser une offre d’achat. Le 20 août, nous sommes de retour à Hokkaido pour finaliser l’engagement immobilier de la meute. Prochaine étape : mon troisième déménagement en moins de deux ans !

タイトルとURLをコピーしました