Episode 12 : Un hiver plein de rebondissements

L’hiver s’annonce ; un nouveau changement aussi. J’apprends en même temps l’existence d’une grand-mère paternelle et son arrivée dans ma meute. Ce regroupement familial est, avant tout, une mise en commun de moyens parce qu’il paraît que la vie n’est pas facile dans ce pays quand une veuve ne dispose que d’une maigre pension de réversion pour assumer les charges locatives et des factures qui ne cessent d’augmenter. A les écouter, je comprends que la vie de bipède est parfois un peu compliquée à gérer. L’organisation de la maison s’en trouve chamboulée. Mes parents et moi-même sommes affectés à l’étage, tandis ma grand-mère va s’installer dans le séjour. Présenté comme cela, ça fait bizarre, mais en réalité la solution est fonctionnelle, avec une salle d’eau complète à chaque niveau et une cuisine à partager, comme en colocation. Je retrouve peu ou prou la surface habitable à laquelle je suis habituée. L’une des chambres s’est improvisée en salon et j’y retrouve mon sofa ; c’est le principal ! Sinon pour dormir, je dispose de ma caisse de transport –ma studette mobile- à côté du lit de mes parents. De toutes les façons, je passe le plus clair de mon temps dehors, dans le jardin, en promenade ou sous l’appentis qui vient d’être accolé à la façade sud de la maison.

Sur le sofa, ma place préférée pour la sieste !
J’ai fait mon choix pour le second tour des présidentielles !

Je note rapidement qu’une grand-mère de quatre-vingt printemps est une chose fragile : mon enthousiasme énergétique lui fait un peu peur ; sans doute la crainte d’être déséquilibrée et de tomber. Elle se méprend aussi souvent sur la signification de mon expression verbale, entre modulations chantantes et cri du loup. Mais il s’agirait là d’une solution transitoire puisque j’ai appris dans le même temps qu’un nouveau contrat de travail est en cours de négociation avec le Japon. Noêl est déjà là et après lui, le Nouvel An qui clôture ma première année d’existence Kishu ; le soleil brille et il fait 15°C au thermomètre.  

Qui dit Noël dit cadeau !
L’emballage a autant d’attrait que ce qui se cache à l’intérieur

Mes promenades me conduisent immanquablement dans la zone des marais. Peu praticable en période de grosse pluie, elle redevient agréable à emprunter après quelques jours de beau temps. Le printemps venu, les paysans du coin sèmeront du fourrage pour nourrir les vaches laitières des fermes environnantes ; en attendant c’est le domaine des herbes folles, pas trop montées à cette heure, mais qui, néanmoins, me caressent le ventre. Le marais grouille de vie ; l’hiver breton n’est pas rigoureux et la nature n’entre pas vraiment en hibernation. Quantité d’oiseaux et d’insectes y séjournent à plein temps ; et c’est un lieu de transit pour les chevreuils et les sangliers qui l’utilisent pour passer paisiblement de bois en bosquets. C’est donc là que je vais expérimenter ma première vraie expérience de chasse. Les mauvaises langues diront que ce fut surtout une belle prise de bec.

Au cours des semaines écoulées, j’ai eu maintes fois l’occasion de sentir la présence d’un familier des lieux. Il est même arrivé que j’en découvre des restes, sous forme d’os de la mâchoire notamment. Le ragondin ! Ce rongeur aux allures de castor m’avait échappé jusqu’alors. Pas cet après-midi-là, alors que ma mère tient la longe puisque mon père est resté pour bricoler dans son atelier. Comme souvent, je délaisse le chemin de terre pour explorer le marais. Un fossé, tout proche d’un ruisseau de drainage, retient mon attention ; je perçois un mouvement dans le taillis. Dans les hautes herbes, ma technique de chasse consiste à progresser par bonds successifs. Ce procédé, conçu moins pour débusquer l’ennemi que pour le forcer à bouger, je le maîtrise de plus en plus, à force de l’utiliser sur les mulots. Sauf que cette fois-ci, mon dernier bond m’amène directement sur l’auguste hôte du marais. A quelques mètres de là, ma mère me croit encore à la poursuite d’un souriceau. C’est vrai que j’en ai accroché déjà un certain nombre à mon tableau de chasse. C’est quand elle entend le raffut qu’elle comprend que l’affaire prend une tournure plus sérieuse. La confrontation est aussi rapide que brutale. Mon museau va garder trace du contact viril quelques jours. Un juge impartial aura du mal à départager les duellistes. Certes, je n’ai pas gagné ; mais je considère ne pas avoir perdu. A défaut de pouvoir partager un trophée avec mes parents, j’en suis quitte pour une bonne douche, sitôt rentrée à la maison : c’est vrai que les fossés ne sentent pas la rose ; normal, ils n’en ont pas la couleur itou.

Les séquelles de ma rencontre avec le ragondin s’estompent peu à peu

La fin du mois de février me conduit à vivre l’expérience d’un cabinet vétérinaire français. Disons-le tout net : je n’ai pas aimé. N’y voyez rien de raciste de la part d’un Kishu. Le vétérinaire était sans doute pressé par le temps et il n’a pas vraiment pris la mesure de mon caractère avant de vouloir me forcer à me coucher sur le flan pour faire une radiographie de mon estomac. Il y a des choses qui ne se font pas entre étrangers ! Avec un animal, il est préférable de ne pas utiliser la contrainte pour obtenir un résultat satisfaisant. Avec un Kishu, la prévenance est une obligation. Tout geste susceptible d’être vécu comme agressif me bloque instantanément et plus aucune coopération n’est alors envisageable. Mon père a pu me calmer et l’examen n’a finalement rien révélé de particulier. La prescription d’un antiparasitaire suffira. Cependant, cette prise de contact plutôt virile laissera des traces : comme tout Kishu, j’ai une excellente mémoire et il ne faudra pas compter sur ma coopération si d’aventure je dois revenir dans ce cabinet vétérinaire. Le lieu étant connoté négativement, aucun praticien n’aura grâce à mes yeux.

Ma cage va bientôt quitter sa place près du lit

Un nouveau contrat de travail a été conclu et nous allons repartir au Japon. Ce n’était pas le plan initial puisque je ne devais faire qu’un aller sans retour. Mais les choses changent. Et je trouve d’ailleurs qu’elles changent de plus en plus vite. Via Internet, ma mère a négocié la location d’une maison de ville, comprendre sans jardin privatif. Nous l’accompagnons à Roissy pour la mettre dans l’avion, histoire qu’elle organise tout pour mon arrivée, programmée en avril. En attendant je profite donc du jardin et des longues promenades alentours. Je chasse le mulot, poursuis les oiseaux sans trop me faire d’illusion, et cherche un ragondin volontaire pour mener un second assaut : les lâches préfèrent prendre le large, ou plus précisément, s’éloigner de la rive de la Vilaine où ils ont leur terrier. La vie est quand même belle ! 

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