Episode 11 : Mon arrivée en Bretagne

Un vrai jardin !

Notre maison bretonne est située sur un coteau surplombant le lit de la Vilaine. A l’aune des standards nippons, le terrain me semble démesuré ; pensez donc : 500 m² ! Largement de quoi me défouler, même s’il faut compter avec l’emprise au sol des constructions et la présence de quelques arbres. A l’intérieur, la surface habitable est doublée. Mieux que cela, je ne suis plus cantonnée dans une seule pièce. En théorie j’ai un accès libre aux trois chambres de l’étage, à la cuisine et au séjour du rez-de-chaussée. En pratique, une fois que j’ai eu exploré les lieux, j’ai jeté mon dévolu sur le séjour, près du sofa.

La maison, avec les aménagements extérieurs en cours de travaux

La Vilaine est un fleuve languissant bordé de marais ; cette zone humide constituera le domaine privilégié de mes sorties quotidiennes au cours des prochains mois. Des hectares sans clôture dont je ne peux malheureusement pas profiter en toute liberté à cause du risque d’y croiser un sanglier ou un chevreuil que mon instinct de chasseur m’amènerait à poursuivre jusqu’au bout de la nuit. On m’a raconté qu’un Kishu avait suivi la piste d’un cerf durant trois jours, parcourant ainsi des kilomètres dans les bois jusqu’à l’épuisement total. On est du genre obstiné dans cette famille canine. Je dois donc me satisfaire d’un câble rétractable de huit mètres, avec le petit plus (cher à M. Bahlsen) du bras de mon père quand je l’étire au maximum ! 

Mon immersion en Bretagne, c’est principalement une vie en secteur rural ; mais c’est aussi parfois l’occasion de connaître l’agitation d’un chef-lieu préfectoral, même si en nombre d’habitants cela équivaut au village japonais que je viens juste de quitter. N’empêche, c’est un autre monde, avec ses grandes zones commerciales en périphérie et un centre-ville historique où la circulation automobile est fortement limitée. Mais c’est au ras du sol que je trouve mon intérêt premier : c’est fou le nombre d’effluves qu’il peut y avoir dans les rues piétonnes vannetaises. Mon père a beau me rappeler à l’ordre fréquemment, rien n’y fait. Je tire sur la laisse comme jamais, car une odeur chasse l’autre et nombreuses sont celles qui ne sont pas encore inscrites dans mon répertoire personnel. Sans remettre en question la bonne volonté des personnes en charge de l’entretien de la voirie, il me faut bien constater que la France se distingue du Japon par le nombre de crottes en tous genres qu’on peut croiser à tout bout de champ. Au grand désespoir de ma mère, d’ailleurs.

Une anecdote familiale en passant. Au début de leur relation, mon père s’était mis en tête de présenter des bouts de France à ma mère. Une fois expédiée la visite de Paris et du Mont Saint Michel, deux incontournables pour tout japonais qui se respecte, il l’avait donc emmenée visiter quelques châteaux emblématiques de l’histoire de France, des villages pittoresques, une cité médiévale etc… Des centaines de kilomètres parcourus aux quatre coins du « beau pays François ». Cependant, mon père n’avait pas compris que ma mère, bien qu’intéressée, perdait 90% des détails architecturaux mis en exergue par son guide improvisé parce qu’elle se concentrait principalement à éviter les crottes de chien et autres souvenirs laissés par des citoyens indélicats sur les trottoirs ! Je vous le dis en toute franchise (pas douanière, celle-ci) : la France a sans doute le plus beau patrimoine du monde, mais c’est aussi une poubelle à ciel ouvert. Quel paradoxe d’avoir tant à offrir au regard et de compromettre ces trésors par tant de saletés ! Le Japon n’est pas Singapour ou la Suisse ; mais une crotte exposée de la sorte sur un trottoir est une rareté qui étonne le passant nippon ; rareté du même ordre que d’y trouver un ticket gagnant du loto, tombé d’une poche. Une fois encore, n’allez pas croire que c’est parce que les japonais sont particulièrement vertueux par nature. C’est simplement parce que les autorités ont su se montrer particulièrement dissuasives, en adoptant des règlements dont elles se sont donné les moyens de contrôler l’application, à coup d’amendes salées (rien à voir avec le grignotage à l’apéritif !). Dans le même temps, les propriétaires canins pouvaient facilement trouver en magasin une offre de pochettes plastiques, adaptées au ramassage de tels souvenirs, à côté du rayon alimentation ad hoc.

Notre village compte moins de 1.500 habitants. A multiplier les longues promenades, je suis rapidement connue des gens du bourg ; à tel point qu’au bout d’un moment, ils identifient mes parents –qui se font rares dans le coin du fait de leurs séjours répétés au Japon- par rapport à moi, et non l’inverse ! Nos voisins m’apprécient particulièrement : je suis le seul cabot des environs qui n’aboie pas de manière intempestive et/ou continuelle à la moindre occasion. Je me suis acclimatée sans difficulté à ma nouvelle région, au point que je peux laisser mon père partir seul quelques jours pour faire un saut dans le sud de la France. C’est durant cette absence que je fais connaître à ma mère sa première frayeur. De retour de promenade, et alors que nous sommes à moins de trois cents mètres de la maison, je flaire une odeur dans un conduit d’eaux pluviales. Pendant que j’inspecte celui-ci, ma mère continue d’avancer, laissant le câble se dérouler de quelques mètres supplémentaires. Quand elle s’avise de mon initiative, elle tire sur la laisse mais c’est le seul collier qui lui revient. Un peu trop lâche, il a passé mon encolure sous l’effet de la traction. M’en suis-je aperçu sur l’instant ? Pas sûr, car au même moment je perçois une odeur engageante que je ne parviens pas à identifier. Comme à mon habitude en pareille circonstance, je me mets en mode course, au grand dam de ma mère qui n’apprécie pas trop les montées en temps normal et qui, là, doit, en plus, me courir après. J’ai pris une bonne avance ; me voici déjà dans le jardinet d’une maison de village. L’odeur provient de casiers en béton dont la façade est fermée par une porte grillagée. Je me dresse sur les pattes arrière pour voir ce qui se cache derrière de grosses boules poilues, de couleur marron ou noir. Ces animaux bizarres font des bonds dans leur paille, projetant partout les reliefs d’un repas de légumes plus très frais. Ils ont de longues oreilles et ne semblent guère apprécier mon intérêt à leur endroit. J’en suis là de mes réflexions lorsque ma mère me rejoint. Non sans mal du fait de l’enthousiasme que je témoigne face à cette nouveauté en cage, elle met fin à ma brève escapade. Plus de peur que de mal, mais elle s’inquiète de la santé de ce qu’elle appelle des lapins. Etranges créatures que cela. Je n’en avais jamais croisé au Japon. Il faudra que je me documente plus avant sur le sujet.   

Il y avait le mur de Berlin, ici c’est la palissade de Bretagne !

Je vais pouvoir en glisser un mot à mon copain de clôture qui doit avoir son propre avis sur la question. Derrière la barrière en bois qui fixe la limite du jardin, côté ouest, il y a, en effet, un drôle de petit chien très bruyant, que d’aucuns qualifient de caractériel. C’est un Jack Russell Terrier blanc avec des tâches noires, dont une lui prend la moitié de la gueule. Le bougre s’appelle Diabolo, et c’est vrai qu’il porte bien son nom avec ce demi-masque de bandit. Il donne de la voix sur tout ce qui bouge, et d’abord sur son maître. Bizarrement, il ne dit pas un mot sur mes parents, sans doute parce qu’ils lui parlent gentiment. Depuis mon arrivée, on apprend à se connaître. On se poursuit l’un l’autre, chacun de son côté du jardin ; en creusant un peu sous les bois de séparation, nous arrivons à passer notre truffe, chacun notre tour. Diabolo m’offre un dérivatif bienvenu quand je me lasse de courir après les moineaux ou de sauter sur les papillons. Mon automne en Bretagne s’écoule ainsi paisiblement, une quiétude que ne parviennent pas à troubler les tempêtes océaniques en visite dans le coin.       

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