Hokkaido abrite une population spécifique d’Ours brun. Il répond aux dénominations d’ours brun de l’Oussouri et d’ours brun Ezo, en référence à l’ancien nom de Hokkaido. Son nom scientifique est Ursus arctos lasiotus. Cette version régionale de l’ours brun est l’une des plus grosses de ce gros nounours, parfois pas commode. Question taille, elle se rapproche de l’ours Kodiak.
Son régime alimentaire comprend des poissons –notamment les saumons sauvages qui remontent les rivières en vue de leur reproduction-, des oiseaux, des petits et grands mammifères tout comme des insectes, en plus des baies et autres fruits de la forêt, sans compter les productions agricoles cultivées en plein champ. Cette diversité de nourriture, ainsi qu’une relative abondance des stocks disponibles, expliquent que cet ours, parvenu à l’âge adulte, puisse dépasser largement les 400 kg.
Cinq sous-populations d’ours de l’Oussouri ont été identifiées, en fonction de leur localisation sur l’ensemble du territoire de Hokkaido. Le nombre total de ces prédateurs est estimé autour de 11.000 individus.
La sous-population la plus observable vit dans la péninsule de Shiretoko, à la pointe nord-est de l’île, et plus particulièrement le long de la côte occidentale du parc national de Shiretoko. Des croisières sont d’ailleurs organisées à cet effet depuis la localité de Shari, permettant le repérage, depuis le large, d’individus en maraude sur les falaises. A noter que l’utilisation d’une paire de jumelles ou d’une lunette à fort grossissement est vivement recommandée. A défaut, il est possible de suivre les sentiers balisés du lieu-dit des Cinq lacs (Shiretoko goko National Park) pour chercher à en apercevoir, toujours à bonne distance ! Au vu de la dangerosité d’une rencontre éventuelle, le parcours peut être bloqué, en totalité ou en partie, par les autorités du parc dès qu’un ours est repéré à proximité du cheminement touristique. Sachant le côté rebelle de l’occidental, et plus précisément du français, je vous préviens : n’essayez pas de contrevenir aux consignes de sécurité en vous aventurant hors des sentiers ou en passant outre les interdictions temporaires. Rappelez-vous que l’observation de la nature à l’état sauvage implique la notion de chance, celle d’être présent au bon endroit et au bon moment. Parfois cela vous sourit, parfois non. Alors peut-être aurez-vous l’impression d’avoir fait la route pour rien, si d’aventure, une alerte vous contraint dans votre désir d’observation d’un Oussouri ; mais il vaut mieux une légère déception que le risque d’un accident potentiellement mortel.
Autre possibilité d’observer l’ours de l’Oussouri pour les plus téméraires, les sentiers forestiers qui jalonnent la route 334 qui relie Shari à Rausu. Vous trouverez ponctuellement des lieux de stationnement qui marquent le point de départ, ou un point d’étape, de cheminements qui maillent le parc, et plus largement la péninsule de Shiretoko. A défaut d’en avoir rencontré un en fourrure et en os, le touriste pourra toujours s’arrêter à la maison du parc, à Rausu, pour en voir des spécimens naturalisés. Et comme tout est possible, vous aurez peut-être la chance –ou la frayeur- d’en voir un de trop près, quand il arrive à un ours en quête de nourriture de se rendre sur le parking de l’aire de repos de Rausu où vous ne manquerez pas de vous arrêter avant de rallier Shibetsu et Nemuro si vous avez entrepris de faire le tour de l’île.
Bon à savoir : Si, d’une manière générale, le touriste se montre souvent désireux d’observer les ours à l’état sauvage, l’engouement de la population locale, lui, est beaucoup moins patent. Il faut dire que celle-ci a appris, à ses dépens, à se méfier autant d’un ours affamé en recherche de nourriture que d’un autre, surpris par une rencontre impromptue au détour d’un chemin. Surtout que, de mémoire d’ours, l’homme a longtemps été, et il reste parfois, son seul prédateur, même si la chasse est désormais très contrôlée. Et à Hokkaido, c’est peu de dire que les Aïnous excellaient dans cette pratique. De longue date donc, l’ours d’Oussouri a pris l’habitude d’éviter tout risque de confrontation directe, sauf cas de force majeure ; et quand un tel événement arrive quand même, cela se passe rarement bien. C’est précisément afin de prévenir tout risque de face à face intempestif que les randonneurs japonais ont, depuis longtemps, pris l’habitude de marcher avec une clochette accrochée à leur sacoche ou à leur sac à dos. Le tintement, qui, produit à chaque pas, se perçoit de loin, est supposé faire se détourner l’ours de l’origine du bruit. A tout le moins, cela le dissuade d’aller dans cette direction. Enfin, il faut juste espérer que la clochette ne produise pas le même son que celui qui, dans les maisons bourgeoises du siècle dernier, appelait les convives au dîner ! Je plaisante bien sûr ; quoique… Bref, si vous avez l’intention de randonner dans les forêts nippones, et plus encore dans celles de Hokkaido, je vous recommande fortement d’acheter l’une de ces clochettes avant de vous mettre en route. Obtenu pour une poignée d’euros, ce petit « ding » salvateur vaudra toujours mieux qu’un grand choc.
Dans les montagnes environnantes, nous aussi avons nos propres ours bruns. Ils nous sont régulièrement signalés par des alertes, reçues sur notre téléphone mobile. Raison pour laquelle nous effectuons nos promenades précisément au son de la clochette réglementaire, en plus du tintement aléatoire de ma plaque d’identification sur l’anneau métallique de mon collier. Les mouvements d’ours sont fréquents et aléatoires tout spécialement au printemps, quand il s’agit pour les ours de refaire leur stock de graisse après leur période d’hibernation ou parce que les mâles sont motivés à se chercher une compagne en dehors de leur territoire habituel. C’est à cette période-ci que le risque d’une mauvaise rencontre est maximal. Même sans savoir lire le japonais, vous comprendrez rapidement la signification des panneaux mobiles qui, placés sur le bord des routes, vous incitent à la plus grande prudence en vous signalant une présence d’ours, récemment observée dans le secteur. Il faut dire que le dessin de l’animal, gueule grande ouverte, y est bien plus parlante que tous les avertissements écrits. Un conseil : évitez de vous arrêter, même pour satisfaire un besoin pressant.
Si on prend la présence de l’ours au sérieux, c’est parce que les attaques d’ursidé font régulièrement des victimes parmi les habitants de Hokkaido. Les chiffres officiels font état de 141 morts et 300 blessés entre 1900 et 1960. Au cours des quarante années suivantes, 86 attaques ont été recensées et 33 décès enregistrés.
Le peuple Aïnou adore l’ours brun, « dieu des montagnes », qu’il a longtemps chassé pour sa viande et les bienfaits supposés de son sang ; le peuple japonais, en revanche, le perçoit avant tout comme un mangeur d’hommes. Sans doute que l’attaque commise à Tomamae par un ours brun de 400 kg en décembre 1915, laquelle a fait sept morts, partiellement dévorés, et trois blessés, y est pour beaucoup. L’histoire avait fait grand bruit, notamment parce que l’animal avait, en réalité, commis son forfait en deux fois, à 24 heures d’intervalle, la seconde intervenant en effet lors de la veillée funéraire de ses victimes de la veille !
Tout récemment encore, au printemps 2023, le corps d’un homme, porté disparu depuis plusieurs jours, a été retrouvé, démembré et partiellement dévoré, près de la rivière où il était parti pêcher. Le crime ayant été signé, les autorités avaient alors déclenché une chasse à l’ours pour mettre fin aux agissements de ce tueur d’homme. Car il est dit qu’un ours qui a goûté de la chair humaine y reviendra à la moindre occasion. L’ours a été abattu, les restes contenus dans son estomac ne laissant aucun doute sur sa culpabilité. Pour autant qu’on puisse plaisanter sur le sujet, on peut dire qu’à l’évidence, cet ours-là avait eu une méthode expéditive pour chasser la concurrence sur son lieu habituel de pêche !