Nous avons donné congé au bailleur. Nous nous envolerons pour la France à la mi-septembre. Avant cela, mes parents doivent préparer les cartons en vue du déménagement, s’occuper à mettre en ordre le laboratoire dont ils avaient la charge tout en continuant de me sortir régulièrement au cours de la journée.
Le 11 au matin, l’appartement est prêt pour accueillir les déménageurs. Ma mère a dormi à l’hôtel ; j’ai passé la nuit dans la voiture avec mon père puisqu’aucun hôtel des environs n’accepte les chiens pour client. Un nouveau rituel s’est mis en place pendant ces quelques jours de transition. Je monte au lac en journée ; puis je dine après ma promenade de fin d’après-midi avant d’entamer une sieste réparatrice dans la voiture pendant que mes parents se restaurent dans l’un des Family restaurants de la place ou se sustentent de plats emportés dans leur chambre d’hôtel. Après avoir pris sa douche, mon père me rejoint pour passer la nuit avec moi dans la voiture à leur labo. L’environnement rural bruisse des rumeurs de la rizière et des bois alentours. La soif, l’envie de satisfaire un besoin naturel ou la curiosité que je porte à l’endroit des grenouilles du coin me conduisent à demander un bon de sortie de ma caisse durant la nuit. Un bon, parfois deux… C’est pour cela que mes parents ont opté pour cette solution, plutôt que de me laisser seule dans la voiture sur un parking d’hôtel où le va-et-vient nocturne serait susceptible de me faire donner de la voix. Ce qui serait embarrassant pour tout le monde. Sitôt les clés restituées à l’agent immobilier, nous voilà partis pour la préfecture de Chiba, au nord de Tokyo, où un hôtel un peu particulier nous attend. Nous y séjournerons en transit pendant deux nuits avant de nous envoler vers cet hexagone dont mon père me dit le plus grand bien.
Bon à savoir : Les Family restaurants sont des établissements où, comme l’appellation le laisse entendre, la clientèle se veut avant tout familiale, avec des menus et des prestations en conséquence. Ouverts parfois dès huit heures du matin pour assurer un service de petit-déjeuner (japonais, américain et/ou « continental »), ils proposent jusqu’à 22 heures une carte suffisamment variée pour faire le bonheur des petits et des grands (salades, pâtes, viandes, poissons, desserts…). La mise à disposition d’un buffet de boissons, ou Drink bar (en japonais dans le texte, si, si), pour une somme modique explique que ce soit aussi le rendez-vous privilégié des collégiens -qui viennent y faire leurs devoirs parfois- et des femmes au foyer qui disposent là d’un lieu convivial pour discuter entre amies. La modernité –et l’absence de main d’œuvre- aidant, c’est dans ces Family restaurants que vous pourrez commander votre repas en utilisant une tablette tactile (menu en anglais) et réceptionner vos plats via un robot serveur. Idéal si vous ne comprenez pas la langue japonaise ! Le Family restaurant assure une offre de moyenne gamme ; comptez moins de mille yen par personne pour un petit-déjeuner, autour de deux mille pour le déjeuner ou le diner (une entrée, un plat principal, un dessert et buffet de boissons à volonté). En dessous, vous avez la (petite) restauration spécialisée. L’exemple le plus typique est le Ramen restaurant qui vous proposera un bol de nouilles pour six cents yen environ. S’agissant des sushis, plusieurs chaînes nationales vous feront découvrir l’entrée de gamme au prix d’appel imbattable de cent yen l’unité. Pour un vrai restaurant de sushi, en revanche, la note grimpe très vite, suivant les types de poisson choisis. Si votre budget n’est pas (trop) limité et si vous voulez vraiment goûter les saveurs d’une cuisine raffinée, aux papilles comme à l’œil, je vous recommande de pousser la porte d’un (vrai) restaurant japonais –ou de loger dans un établissement offrant la formule en demi-pension (ryokan notamment) : menu unique composé des produits frais du jour à partir de 5.000 yen par personne – et souvent beaucoup plus ! Mais l’expérience vaut le coup de délier sa bourse. Pour être un peu plus complet sans être exhaustif, je mentionnerai les établissements spécialisés autour d’un met particulier (anguille, soba (nouille de blé noir), udon, porc…) et les izakaya qui sont avant tout des lieux où l’on sert de l’alcool (saké, bières…) mais qui proposent des plats « apéritifs », souvent excellents, en accompagnement.
Situé à une trentaine de kilomètres de l’aéroport, l’hôtel nous est entièrement dédié, à nous les compagnons à quatre pattes. Les « maîtres » sont tolérés, mais uniquement parce qu’au final c’est eux qui payent la facture ! Je plaisante mais c’est quand même l’impression que l’établissement me donne. Les bâtiments sur deux ou trois niveaux et autres maisonnettes s’essaiment dans un grand parc compartimenté de telle sorte à offrir différents enclos où les chiens peuvent s’ébattre en toute liberté. En prévision des journées estivales, très chaudes dans cette région, des pièces d’eau ont été aménagées pour se rafraîchir les pattes… et le reste. Spacieuses, les chambres offrent un coin spécialement dédié à notre seul confort : on est à des années-lumière de la cage exigüe du Hilton ! Rien à dire : mes parents ont vraiment fait les choses bien en prévision du vol transcontinental qui m’attend. Notez qu’ils y étaient un peu obligés dans la mesure où ils doivent me présenter le lendemain à l’inspection vétérinaire afin de valider mon franchissement de frontière.
La veille du vol, je suis donc présentée à un inspecteur qui vérifie la conformité du dossier, la réponse du transpondeur et mon état de santé apparent. Comme ma mère s’est occupée des papiers en liaison avec le bureau de l’aéroport bien avant notre départ, tout est validé et je reçois l’imprimatur officiel qui me vaut bon de sortie de mon territoire natal. Je peux profiter de mon hôtel le reste de la journée, même si, avec ma période de chaleur qui s’éternise, je n’ai pas accès aux différents enclos. Je me promène donc dans les allées et dans les environs du parcours de golf adjacent.
Ma dernière nuit nippone est courte. J’ai fait deux sorties en nocturne et mon lever s’effectue à quatre heures du matin. Courte promenade pour assurer l’essentiel, puis c’est le départ vers l’aéroport. Nous devons impérativement arriver trois heures avant le décollage pour enregistrer mon passage en soute. Pendant que ma mère retourne le véhicule de location à l’agence, mon père me sort devant le terminal ; c’est la dernière fois avant le bouclage dans mon studio labellisé IATA. Comme il me sert au quotidien pour les déplacements en voiture, je ne suis pas dépaysé. Le hall de l’aéroport n’est pas trop bruyant : l’heure très matinale explique en partie ce calme relatif ; mais il faut dire aussi que nombre de vols réguliers sont toujours annulés en raison de la gestion sanitaire du Covid, notamment ceux à destination de la Chine. Peu d’agitation autour de moi, c’est moins de stress. Parce que je plonge quand même dans l’inconnu, là. L’hôtesse a constaté que mes 17 kg étaient bien à l’aise dans ma caisse ; mon père peut donc conduire le chariot vers un préposé qui accole des étiquettes et pose des bracelets plastiques afin de sécuriser la porte grillagée. A partir de maintenant, je suis bel et bien prisonnière. Mais je ne dis rien ; j’observe. Mon chariot revient se garer devant le comptoir d’enregistrement. Apparemment rien d’intéressant ne va se passer avant longtemps, je peux donc m’allonger, silencieuse mais en éveil. Mes parents sont rassurés ; ils me laissent pour accomplir leurs propres formalités.
Je suis embarquée peu de temps avant la fermeture des portes de l’avion. J’ai suivi un parcours différent de celui de mes parents pour rejoindre le Boeing 777 de la compagnie Air France. J’ai eu droit au tapis roulant pour accéder à la soute. C’est la moindre des choses à l’égard d’un passager qui a acquitté quatre cents euros pour accomplir un vol sans boisson offerte, ni plateau repas, encore moins de programme de distraction. Personne ne s’intéresse à moi ; alors le mieux, c’est encore de dormir, option d’autant plus prisée dès que la pénombre s’est installée dans la soute pressurisée. Un trafic aérien au ralenti et des vents porteurs font que l’avion arrive en avance sur l’horaire. C’est heureux car cela fait quinze heures que je n’ai ni bu, ni mangé. Comment boire quand je n’ai aucune indication sur la possibilité de faire pipi ! D’abord je n’ai pas de montre, moi ! Et puis je m’y perds avec cette histoire de décalage horaire. A Paris, la procédure de débarquement s’étire en longueur. Mais comme les douaniers se désintéressent totalement de mon cas, j’arrive plus rapidement que prévu sur le parking d’Europcar où ma mère peut enfin ouvrir ma caisse. Un pape faisait des sorties d’avion remarquées en embrassant systématiquement le sol des pays qu’il visitait ; quant à moi, c’est la truffe que je pose sur l’asphalte en guise de salutations distinguées. Nouveau lieu, odeurs nouvelles !
Au vu de l’heure tardive et de la fatigue accumulée, mes parents m’ont réservé une suite junior au Hyatt de l’aéroport. Des mètres carrés supplémentaires bienvenus afin que je puisse déambuler sans me cogner partout. Et surtout un grand espace de verdure, derrière les emplacements de parking de l’établissement. Je vais aller m’y aérer plusieurs fois au cours de la nuit : le décalage horaire perturbe aussi les chiens, que croyez-vous ?! Le lendemain, nous quitterons la plate-forme de Roissy pour rejoindre la pointe sud du Morbihan, où un nouvel environnement et d’autres habitudes m’attendent.