Juin est le mois dit de la saison des pluies au Japon. La première quinzaine se déroule pourtant sous un soleil radieux, autant d’opportunité pour goûter aux joies aquatiques des parcs autour de la résidence. Ce petit air de vacances avant l’heure contribue à faire passer la pilule, pardon la puce, que le vétérinaire vient de placer sous le cuir de mon épaule gauche. Mes parents appellent ça un transpondeur. Rien à voir avec une balise GPS –j’en aurai confirmation deux ans plus tard !- quoiqu’en disent certains cabots conspirationnistes. C’est un marquage qui m’identifie bien plus sûrement qu’un disgracieux tatouage à l’encre baveuse et au tracé maladroit. La pose de cette puce électronique est le préalable exigé par l’administration nippone à ma vaccination antirabique, en prévision de mon prochain franchissement de frontière. Cette règle de l’identification formelle est compréhensible en théorie, même si mon vétérinaire n’a pas besoin de ça pour m’identifier avec certitude dans la pratique : je reste le seul Kishu de sa patientèle.
L’usage du transpondeur ou du tatouage fait figure d’exception au pays du Soleil levant. En fait, les animaux de compagnies sont enregistrés par la mairie de résidence, en même temps que leurs « parents ». Et ils se voient attribués un médaillon à fixer au collier à fin d’identification en cas d’errance sur la voie publique. C’est aussi la mairie qui, chaque année au mois de mai, communique sur l’obligation du rappel antirabique, mené à l’occasion d’une grande campagne nationale de vaccination.
Bon à savoir : Au Japon, les autorités municipales savent précisément qui habite où, sans que cela n’offusque quelque association de défense des droits de l’Homme et du Citoyen. Cela me semble logique, à moi, qu’une mairie puisse identifier les logements occupés de ceux, vacants, sur sa zone de responsabilité, et qu’elle connaisse les nombre et qualité des personnes vivant sous un même toit. Dans un pays régulièrement soumis à des phénomènes sismiques et aux conséquences, parfois dramatiques, de catastrophes naturelles engendrées par les typhons, il est souhaitable de savoir combien de personnes sont à rechercher sous les décombres d’une habitation ou combien sont à évacuer lors de la mise en alerte des populations. Ce contrôle déclaratif initial est régulièrement mis à jour par le policier en charge de votre quartier sans que cela tourne à l’inquisition. Lors de sa visite domiciliaire annuelle (en réalité, il reste sur le pas de la porte), le policier note les éventuelles modifications intervenues dans l’année et il profite de l’occasion pour communiquer des informations de prévention et de sécurité, liées à la vie du quartier ou de l’agglomération. S’agissant de ma meute, jamais les policiers, à Suwa d’abord, à Hokkaido ensuite, n’ont demandé à voir le titre de séjour de mon gaijin de père quand bien même ils le savaient étranger, et donc soumis à une autorisation administrative de résidence. Leur démarche s’inscrit dans un cadre de « protection civile », en décorrélation avec toute autre procédure de police. Un Etat peut-il raisonnablement assumer ses élémentaires devoirs envers la population s’il n’est pas en situation de savoir avec précision qui est présent sur son territoire ?
Je suis donc « transpondorisé » le 5 juin ; j’ai pris deux kilos et demi depuis ma dernière pesée. Désormais j’excède de 25% le poids total autorisé dans l’appartement. Les fortes chaleurs provoquent l’arrivée des orages. Eclairs et grondements du tonnerre me laissent de marbre ; il en sera de même dans quelques semaines, lorsque débutera la saison des feux d’artifice. Après tout, je suis un chien de chasse, et depuis l’invention de la poudre et des fusils, mon patrimoine génétique a dû prendre en compte la gestion des détonations.
Avant notre départ pour la France, mon père souhaite retourner à Hokkaido. Mes parents y ont fait un bref séjour l’an passé, qui leur a donné le goût du « revenez-y ». Le 26, les préparatifs sont achevés et le départ est fixé au dimanche 27 à 16h. Un long voyage m’attend. J’ai dans l’idée que ce sera loin d’être le dernier !