Mes journées sont réglées comme le papier à musique d’un orgue de Barbarie : je mange, je me promène, je dors. Et ce cycle se répète inlassablement. J’accompagne mes parents en voiture quand ils doivent se déplacer, car il a été décidé de ne pas me laisser seule sans surveillance dans l’appartement. Deux raisons à cela : d’abord, il peut arriver que mon trop plein d’énergie –ou l’ennui, allez savoir- me pousse à attaquer les carreaux de liège posés en protection du plancher du séjour, quand je ne m’attaque pas aux cartons de protection en périphérie de la pièce. Mais surtout, nos voisins possèdent un Chihuahua bruyant de la pire espèce, et mes parents redoutent qu’à la longue, je me mette à lui répondre, ou à l’imiter dans ses aboiements intempestifs ! J’ai beau leur démontrer par l’exemple qu’un Kishu n’est pas de cette trempe de gueulard, rien n’y fait et je dois suivre le mouvement. Notez que cela me va bien, somme toute, car je n’apprécie pas que ma meute soit séparée.
Le 8 du mois marque un tournant : j’ai atteint les 10kg. En théorie, c’est le poids limite toléré pour les animaux de compagnie dans le bail de notre appartement ! Le stress de ma mère monte d’un cran : son côté nippon la conduit à vouloir respecter strictement les règles. Enfin je dis ça, mais il faut relativiser : pas sur le caractère de ma mère, mais sur cette légende qui veut que les japonais soient des citoyens modèles. Rien de plus faux : la vérité, c’est qu’ils se conforment à la règle sociale uniquement s’ils sont, ou pensent être, sous le regard de tiers, autorités administratives, hiérarchie professionnelle, voisins… En dehors de ces cas –forcément nombreux dans un pays où les zones habitables sont densément peuplées- c’est plutôt la règle du « pas vu, pas pris » qui l’emporte. Nous sommes donc en sursis ; d’autant que la caméra de sécurité du parking peut témoigner de mon embonpoint croissant ! Mes parents avaient décidé de mon adoption en prévision de leur retour définitif sur la France, programmé en septembre. Ils n’avaient pas anticipé une pousse aussi rapide. Tant que l’agent immobilier ne vient pas contrôler, tout reste sous contrôle.
En réalité j’ai moins « grossi » que grandi. Mes pattes ont gagné quelques centimètres et, désormais, je monte les marches aussi bien que je les descends. Ce supplément d’autonomie est néanmoins contrarié par le portillon qui me limite au seul séjour, et me prive donc de l’initiative de gratter à la porte pour sortir en promenade. Ceci dit, si j’apprécie les balades au grand air, je goûte moins le cérémonial de rentrée : le passage obligé de mes pattes dans une bassine remplie d’eau n’est pas des plus motivants, pas plus que le séchage de mes coussinets à la serviette éponge.
Bon à savoir : dans les séries télévisées occidentales, il n’est pas inhabituel de voir un adolescent s’étendre sur son lit, chaussures au pied, tandis sa mère déambule dans la maison en bottes ou en escarpins. Rien de tout ça au Japon, sauf à risquer l’incident diplomatique ! Qu’il s’agisse d’un petit studio ou d’une grande maison, toutes les habitations disposent d’un sas de transition entre l’extérieur et l’intérieur. Anciennement en terre battue et désormais carrelé, cet espace est utilisé pour se déchausser (et se chausser au moment de sortir) afin d’éviter de propager à l’intérieur les souillures récoltées par une marche en extérieur. Même si le tatami traditionnel s’est vu remplacé par des sols en parquet stratifié ou en revêtement plastique, style Linoléum, la tradition perdure d’évoluer ainsi en chaussons ou en socquettes. Suprême raffinement, souvent des savates dédiées sont spécialement dévolues à l’espace des toilettes. Petite précision s’agissant du tatami : la paille de riz étant un matériau fragile, il est d’usage d’y évoluer uniquement pieds nus ou en chaussettes : même le chausson y est prohibé ! A ne pas oublier si d’aventure vous avez opté pour une nuitée en ryokan, l’auberge nippone qui permet de se faire une idée très précise de l’hospitalité à la japonaise. A noter que mêmes les constructions récentes –« cube » ou « container »- proposent généralement une pièce « tatami » afin de conserver l’esprit de la tradition.
Je fréquente toujours régulièrement le dog run sur les hauteurs. Il fait désormais plus de 20°C dans mon environnement rizicole ; alors j’apprécie d’autant mieux quand nous montons là-haut pour quelques heures là-haut afin de me dégourdir les pattes. Sinon, je me promène parfois sur les bords du lac de Suwa. Nouvelle expérience : mes parents ayant noté que j’appréciais la proximité de l’eau, nous voilà bientôt partis à l’océan par une belle journée ensoleillée sous 25°C ! Trois heures de voiture, entre voie express et route fédérale, pour rejoindre la localité de Shimizu, préfecture de Shizuoka. Pour ceux de mes lecteurs qui font ou ont fait des modèles réduits, Shimizu se situe dans la banlieue de la ville de Shizuoka, laquelle abrite les sièges sociaux et usines des marques mondialement connues que sont Tamiya et Aoshima, entre autres. On y trouve aussi de nombreuses sociétés spécialisées dans le micro-outillage de précision. C’est l’une des villes préférées de mon père qui a même déniché, à l’occasion du grand salon de la maquette et du modèle réduit qui s’y déroule chaque année au mois de mai, un fabricant de maquettes en bois spécialisé dans la reproduction des châteaux, temples et autres monuments de l’histoire japonaise, la société Woody Joe. Si vous désirez de plus amples renseignements, contactez-moi et je transmettrai. Cette région est aussi fameuse pour la production de thé vert, qui en a fait la richesse, et pour la qualité de ses poissons et de fruits de mer, proposés notamment sous forme de sushi et de sashimi.
Mon inclination pour l’eau de mer est modérée, à la grande déception de mes parents qui entrevoyaient déjà la possibilité de futures grandes balades familiales sur le littoral sud-Bretagne. Sans doute que l’eau salée y est pour quelque chose ; mais pas que… Ce mouvement de l’onde qui vient pour repartir, sans que j’arrive à anticiper le mouvement, ô combien bruyant, sur les galets, n’aide pas à me familiariser avec cet environnement versatile. A ce rivage pourtant pacifique, je préfère grandement la promenade sous les grand pins -les « matsu » qui rappellent mon nom officiel- en retrait de la plage.