Au moment où j’écris ce premier billet, je viens d’avoir deux ans et demi. Le début de la maturité peut-être ; l’âge minimum pour accéder aux réseaux sociaux et à Internet, assurément. Aussi, avant de vous faire partager mon actualité, il ne me semble pas inutile de procéder, dans un premier temps, à un petit retour en arrière. En conséquence, ne vous fiez pas aux prochaines dates de publication qui seront, par le fait, déconnectées de la temporalité des histoires relatées. Et puisqu’il faut bien commencer à un moment donné, quoi de plus logique d’ouvrir mon blog sur l’origine du monde… Rien à voir avec le fameux tableau polémique de M. Courbet, Gustave de son prénom, pas Julien… Je parle ici plus prosaïquement de mon monde qui débuta le 2 janvier 2021, date de ma naissance.
J’ai vu le jour à Suzuka (Japon), dans un élevage dédié à la race Kishu. Cela se situe à un jet de pierre de la baie d’Ise, réputée pour ses grosses crevettes (« Ise ebi »), vendues au prix de véritables langoustes ! Pour la petite histoire, c’est aussi dans cette baie qu’ont été créées les premières perles de culture au monde, à l’initiative de Kokichi Mikimoto. Nous sommes ici dans la préfecture de Mie (à prononcer Mi-é, rien à voir avec la « mi-e » de pain), une préfecture très courue, considérée comme sacrée en cela qu’elle abrite les sanctuaires impériaux (ville d’Ise). Les touristes, amateurs d’arts martiaux, feront le détour à Iga, pour visiter l’un des berceaux ancestraux des combattants ninja, alors que les gourmets ne manqueront pas de se laisser tenter par le réputé bœuf de Matsusaka. Ma ville de naissance est, quant à elle, surtout connue à l’international pour recevoir, chaque année, l’étape japonaise du championnat du monde automobile de Formule 1. Voilà pour le cadre.
Mon géniteur se nomme SHIN-RYU, deux caractères chinois qui peuvent se traduire par « Dieu Dragon » ; ma génitrice répond au doux nom de HAKUBI-NO-KOU-HIME, soit « Meilleure Princesse de la Lumière ». Quant à moi, mon identification officielle est HAKUBI-NO-MATSU-HIME, ce qui signifie « Meilleure Princesse du Pin ». Je conçois aisément que ces formulations, et leur traduction, puissent dérouter au premier abord. Une explication s’impose donc.
Au Japon, les noms et les prénoms s’écrivent à l’aide d’idéogrammes appelés kanji. Ce sont des signes issus de caractères chinois qui ont une ou plusieurs prononciations, et une ou plusieurs significations. Un même prénom japonais peut ainsi s’écrire (et se lire) de différentes manières. Dit autrement, deux individus, répondant au prénom phonétique de Makoto, n’utiliseront pas nécessairement les mêmes kanji pour rendre compte de la sonorité « Ma-Ko-To ». Si l’écriture d’un prénom n’est pas figée, c’est parce que, dans ce domaine particulier, le kanji renvoie à une image, à un concept et que le choix des kanji (trois au maximum) est supposé inscrire le nouveau-né dans un univers karmique spécifique, celui qu’il a inspiré à ses parents (ressenti), ou celui auquel ils aspirent pour lui (vœu). En d’autres termes, l’écriture en kanji donne à l’enfant la lecture parentale de « qui il est » et/ou forme leur souhait sur « qui il est appelé à être ». C’est pourquoi la tradition veut que le choix du ou des kanji soit décidé après la naissance de l’enfant, et non avant celle-ci, afin de pallier ou de renforcer les effets du ressenti chez les parents. Cette pratique ancestrale se perpétue à l’identique chez les éleveurs de chiens primitifs japonais.
Bon à savoir : Ce particularisme n’est pas sans poser de vrais problèmes d’identification dans un pays où, d’un point de vue administratif, le prénom est plus fiable que le nom de famille lui-même. En effet, au Japon, le prénom de naissance demeure invariant alors qu’il est courant pour un individu de changer de nom au cours de sa vie, par le jeu des mariages et divorces successifs bien sûr, mais aussi en raison du régime particulier des adoptions dans ce pays. Il n’est pas rare en effet que les parents d’une jeune femme demandent à leur futur gendre de perpétuer le nom de leur lignée, occasionnant ainsi une modification de patronyme de la « pièce rapportée mâle ». Il est fréquent, par ailleurs, que le nouveau mari d’une femme ayant des enfants d’un premier lit adopte ces derniers, y compris une fois devenus adultes, quand bien même leur géniteur de père est toujours vivant. C’est encore le prénom -et non le patronyme- qui fait référence dans le koseki (registre familial attaché à chaque japonais). Les ambiguïtés de lecture des kanji ont d’ailleurs conduit le gouvernement à lancer prochainement une grande campagne de confirmation / régularisation de lecture auprès de la population née avant 2022. Chaque citoyen devra alors indiquer à l’autorité en charge du suivi de son son état-civil (koseki) la façon correcte (unique, donc) de lire son prénom. Je conclurai ce point informatif en indiquant que beaucoup de localités japonaises portent le même nom, dès lors qu’il est transcrit en romaji sur la carte. Mais cela ne porte pas à confusion (géographique) dans la mesure où les kanji utilisés sont différents pour chacune d’elles.
Mon nom officiel est constitué de l’assemblage de trois kanji et d’autant d’images :
- « HAKUBI » induit l’idée de chef d’œuvre, du « meilleur » de chaque chose.
- « MATSU » est le nom d’un arbre, le pin. Mais cette traduction basique fait l’impasse sur le fait qu’ici ce mot renvoie d’abord à l’image que le pin véhicule dans la culture nippone. Le « matsu » est une référence au système ancestral de classe, dit des trois tiers, dans lequel il incarne la position la plus élevée. Car cet arbre est réputé pour constituer le lien par lequel les dieux du shintoïsme descendent sur Terre pour visiter les humains. Il symbolise, en outre, l’éternelle jeunesse et une vie longue.
- « HIME » désigne une princesse,
- Pour être complet, précisons que le « NO » est un simple caractère de liaison.
Vous aurez donc compris que « princesse du pin » ne fait pas de moi la reine d’une forêt de résineux ! Je ne saurais, à ce stade, me qualifier de chef d’œuvre, mais à l’évidence, il semble que j’aie inspiré l’idée de m’inscrire dans le top princier, sorte de « princesse des princesses », en droite lignée de ma génitrice d’ailleurs. Bref, il ne vous aura pas échappé que je suis destinée à être exceptionnelle, un constat –et une traduction- que je vous soumets naturellement en toute modestie, cela va sans dire.
Ce nom m’a été attribué six semaines après ma naissance. Qu’il constate un fait ou qu’il forme un vœu, c’est celui qui figure sur le registre officiel tenu par les autorités compétentes, équivalent nippon du Livre des Origines Français (LOF). Ceci posé, jamais personne ne m’a appelée ainsi.
Car, fort heureusement, je dispose aussi d’un nom usuel que le couple de bipèdes, qui a eu l’inconscience de se lier à moi, a simplement transcrit en hiragana : YU-KI. Plus pratique dans les interactions de la vie courante, Yuki se traduit par neige en français. Il dispense du cérémonial protocolaire dû à toute princesse et c’est bien mieux ainsi.
Mon adoption est intervenue au lendemain du délai légal, soit cinquante jours après ma naissance. Pour m’y préparer, on m’a séparée de ma génitrice quelques jours auparavant ; quant à mon géniteur, je ne l’ai pas vraiment connu. C’est donc ma petite sœur que j’ai quittée, en réalité, le 22 février 2021 pour vivre ma première expérience automobile. 250 kilomètres de bandes asphaltées et 5 heures de voyage pour parvenir dans mon premier « chez moi ».
Bon à savoir : La langue japonaise était originellement une langue parlée. Le concept d’écriture a été importé de Chine, raison pour laquelle les lettrés japonais ont utilisé puis transformé les idéogrammes chinois pour rendre compte de la langue vernaculaire à l’écrit. On considère que deux mille kanji sont nécessaires aujourd’hui pour être à même de lire une publication en japonais. Au cours des siècles, la nécessité de se doter d’une autre forme d’écriture s’est imposée : ce fut d’abord les hiragana, une écriture syllabique plus simple à utiliser dans la vie courante chez les non-lettrés ; puis les katakana, autre écriture syllabique qui s’avéra nécessaire afin de transcrire les mots (sons) d’origine étrangère. Tout récemment, est apparu le romaji, mode d’écriture qui correspond à l’alphabet latin ; à l’usage, il se limite à la transcription des noms étrangers et de certains renseignements sur les panneaux de signalisation notamment (ça aide les touristes à se repérer dans les rues et dans les transports par exemple) et au domaine des nouvelles technologies de communication. Ce sont donc quatre formes d’écriture qui, au Japon, cohabitent pour rendre compte d’une seule et même langue !
コメント
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