Début mars, j’ai pris mon rythme. J’ai apprivoisé ma cage, le séjour et le balcon, mon unique accès à l’extérieur. Il m’est arrivé de renouveler ma première expérience en voiture, quand mes parents sont allés faire les courses, mais dans ces moments, je reste cantonnée dans la partie inférieure d’une caisse de transport estampillée « L », agréée pour les voyages aériens.
Pour fêter mes neuf semaines, mes parents m’emmènent faire une visite. Je vais pouvoir sortir de la voiture ! Enfin, oui et non. Certes, je prends l’air, mais dans les bras de mon père. Je n’ai toujours pas l’autorisation de fouler l’asphalte de mes coussinets toujours rose. Chose étrange : mes parents se sont couvert le visage d’un masque. Notre sortie est-elle, à ce point, dangereuse ? Rassurez-moi, je ne vais pas participer au braquage d’un magasin ou d’une banque au moins ! J’aspire à la célébrité, certes, mais pas à n’importe quelle condition ! Suis-je stupide ! Pour un vol, c’est plutôt le bandeau de Zorro ou celui des Rapetou que l’on utilise. Je respire déjà mieux !
Nous entrons dans un local où se font entendre miaulements et autres aboiements. Je suis tout de suite dirigée dans une salle où deux bipèdes masqués semblent m’attendre. Mon père me pose sur une table qui, je l’apprendrai par la suite, fait office de table d’examen et d’appareil pour mesurer le poids. C’est donc cela que l’on appelle un cabinet vétérinaire ! Un nouvel univers que je découvre sans appréhension particulière. Des mains étrangères me tripotent un peu de partout, avec assurance et en douceur. Je me laisse faire, d’autant mieux qu’une dame souhaite que je goûte de petites friandises inconnues. Apparemment, c’est le premier Kishu qu’ils voient ! Pourtant, le Monsieur peut se targuer d’une grande expérience si j’en juge à ses tempes blanchies sous le harnais ! Je l’entends dire que je suis en parfaite santé. Parfait. Je concentre mon attention sur les croquettes offertes par la gentille dame ; mon père me sécurise sur la table : c’est que c’est haut, ce truc ! A peine le temps de sentir quelque chose dans l’épaisseur de mon encolure et je redécolle de la table, direction la voiture. Il paraît que je viens d’être vacciné ; un cocktail de six sérums pour me préserver de certaines maladies. Le vétérinaire a recommandé d’éviter tout contact direct ou indirect avec les autres chiens. Je vais devoir patienter encore un peu avant de découvrir les joies de la balade en extérieur. Un point sur ma croissance : au 10 mars, j’accuse un poids sur la balance d’environ 4 kg ; ce sera 5.48 kg au 24 mars, 6.8 kg le 9 avril et 8 kg tout rond le 20 du même mois, lors du rappel vaccinal.
Trois semaines après la constitution de ma meute cellulaire, je dois faire face à un évènement inattendu : mon père nous quitte. Il va en France pour satisfaire à des obligations professionnelles. C’est l’occasion pour moi de passer ma première nuit dans un hôtel ! A Narita, second aéroport international de Tokyo, un seul hôtel accepte la présence d’un animal en chambre. Nous logerons donc au Hilton ! L’affiche semble attrayante, la réalité l’est beaucoup moins. D’abord l’hôtel, d’une conception aujourd’hui dépassée, baigne dans son jus originel ; et ma cage est très loin d’un standing multi-étoilé. Règlement intérieur oblige, j’ai été obligé de faire le trajet entre le parking et la chambre dans un sac de transport, le genre cabas à chihuahua. La honte ! Il y a néanmoins quelques bons côtés à retenir : d’abord, mes sorties hygiéniques en vrai extérieur, sur les rares espaces verts du parking ; mais surtout, je vais dormir dans le même espace que mes parents. C’est la première fois que la meute s’octroie un repos bien mérité dans un espace commun. Je suis encore trop petite pour m’essayer à monter sur les lits. En revanche, je peux jouer avec les double-rideaux et m’offrir quelques courses homériques sur le plancher. Il faudra bien me résoudre à passer la nuit en prison, un châtiment non mérité puisque je me comporte vraiment très bien en intérieur.
Durant l’absence de la référence paternelle, j’en apprends un peu plus sur le fonctionnement de ma mère. Il faut dire que nous sommes ensemble 24h/24, sauf durant ma longue période de sommeil nocturne. Elle se soucie de mon confort et, en même temps, elle stresse à mort à l’idée que je pourrais faire une grosse bêtise sur le plancher ou au niveau des murs. Même si le bas des murs est protégé par des montagnes de cartons et autres bouteilles en plastique (vides) ; et quand bien même le plancher a été doublé avant mon arrivée d’un revêtement fait de dalles en liège ! Bon j’avoue : il y a un truc spécial dans ce liège, précisément, qui me force à gratter. Et quand j’active mes pattes antérieures comme pour creuser, ça déménage ! Je crois que ma mère a été soulagée quand, après quinze jours de voyage et quatre jours à l’isolement administratif dans le cadre de la prévention Covid, mon père est rentré à la maison ! Elle pouvait enfin déléguer son stress à autrui !